L’hôpital public connaît des tensions multiples : charge de travail, pénurie de personnels, perte de sens. Et si, au cœur de ces difficultés, un levier discret était encore sous-exploité ?
Matthieu Girier propose dans cet épisode un regard original : celui des dynamiques intergénérationnelles. En s’appuyant sur son expérience de DRH et sur l’observation fine des collectifs hospitaliers, il invite à repenser le travail à partir des âges, des trajectoires et des attentes des professionnels. Une manière concrète de redonner de la cohérence au sein des équipes.
« On demande à des jeunes de penser comme des vieux, et à des vieux de courir comme des jeunes. »
Matthieu Girier a été directeur des ressources humaines dans la fonction publique hospitalière. Il a exercé dans plusieurs établissements de santé et s'intéresse depuis plusieurs années aux questions d'organisation, de coopération et de reconnaissance dans les collectifs de travail.
Son regard croisé sur le management, les parcours professionnels et les générations ouvre de nouvelles pistes pour penser les tensions actuelles à l’hôpital.
Jamais les organisations, notamment hospitalières, n’avaient accueilli autant de générations au travail en même temps. Chacune apporte ses valeurs, sa relation au travail, ses aspirations, son rapport à l’autorité. Cette diversité est une richesse, mais elle met à l’épreuve les structures traditionnelles. Les plus jeunes recherchent flexibilité, équilibre de vie et sens ; les plus anciens restent attachés à la continuité, à la transmission et au devoir.
Entre ces univers, les malentendus sont fréquents. Le défi n’est pas d’uniformiser mais de créer des ponts : comprendre ce que chaque génération cherche, sans la juger selon ses propres codes. C’est une question d’intelligence collective et de reconnaissance mutuelle. Gérer quatre générations, c’est orchestrer des temporalités, des rythmes et des langages différents pour construire un espace commun.
L’intergénérationnel, une affaire d’encadrement et de culture managériale
La clé réside dans la capacité des managers à accompagner cette pluralité. Encadrer des équipes intergénérationnelles demande une posture d’écoute et d’équilibre : offrir du cadre sans rigidité, de la liberté sans désordre. Cela suppose de revoir certaines pratiques : horaires, formation, progression de carrière, et même modes de communication. La direction et les encadrants deviennent les traducteurs culturels entre générations, garants d’une cohabitation constructive.
L’objectif n’est pas d’imposer un modèle unique, mais de permettre à chacun de trouver sa place et de contribuer selon ses forces. L’intergénérationnel devient alors un levier de performance collective, à condition d’être porté comme un projet de culture, pas comme un problème à résoudre.
Le rapport au travail a profondément changé : là où les anciennes générations valorisaient la stabilité, les plus jeunes aspirent à l’autonomie, à la reconnaissance et à la cohérence entre vie personnelle et professionnelle. Cette évolution impose une refonte du contrat psychologique entre employeurs et salariés. Le défi pour les organisations publiques est de conjuguer “flexicurité” — offrir des marges de liberté tout en garantissant un cadre sûr.
Cela demande d’oser repenser la notion d’engagement, de temps de travail, et même de réussite. L’intergénérationnel, dans ce contexte, n’est plus une question de tolérance mutuelle mais un terrain d’innovation managériale : une invitation à inventer de nouvelles formes d’équilibre entre service, sens et bien-être au travail.