Le pouvoir de la surprise

Et si la surprise était une compétence professionnelle ?

Dans cet épisode détonant, Christophe Haag nous invite à explorer l’univers inattendu de nos émotions. Entre neurosciences, management et anecdotes incroyables, il partage une vision originale de la prise de décision, de l'engagement au travail et du leadership. De quoi chambouler nos repères dans la fonction publique… et ailleurs.

Présentation de l'invitée : Christophe Haag

« La surprise est un révélateur d’intelligence adaptative. Elle permet de sortir des scripts automatiques. »

Christophe Haag est chercheur en comportement organisationnel, professeur à l’EM Lyon et auteur de plusieurs ouvrages, dont Le pouvoir de la surprise. Spécialiste des émotions en entreprise, il mêle expériences de terrain, psychologie sociale et neurosciences pour éclairer autrement nos modes de fonctionnement.

Décryptage des idées clés

Le travail repose sur des mécanismes invisibles que les organisations négligent encore

La plupart des organisations fonctionnent comme si les comportements humains étaient rationnels, prévisibles et gouvernés par des règles explicites. Elles conçoivent des process, des procédures, des protocoles, convaincues que la structure suffit à organiser le réel. Cette vision oublie l’essentiel : ce qui détermine l’action quotidienne, ce sont les mécanismes invisibles de l’esprit humain — émotions rapides, biais de perception, liens de confiance, signaux faibles.

Lorsque ces dimensions ne sont pas intégrées, les organisations deviennent myopes. Elles interprètent les résistances comme des fautes, les hésitations comme un manque de volonté, les tensions relationnelles comme des problèmes individuels. Alors qu’elles sont souvent les effets logiques d’un environnement qui sollicite excessivement les agents, ou d’un cadre qui ne tient pas compte de la manière dont les humains prennent réellement des décisions.

L’enjeu n’est pas de psychologiser le travail, mais de reconnaître que l’intelligence émotionnelle n’est pas un supplément : c’est un facteur de stabilité et de performance collective. Tant que les organisations continueront à traiter l’humain comme un rouage technique, elles passeront à côté de leurs propres leviers d’efficacité. Le travail fonctionne d’abord sur du sensible. Ce n’est pas un risque ; c’est un paramètre.

Le leadership contemporain consiste à gérer l’incertitude, pas à imposer la certitude

Les modèles d’autorité hérités du XXe siècle reposaient sur la maîtrise : savoir, prévoir, orienter, décider. Ils s’effritent dans un contexte où les situations évoluent vite, où les équipes attendent de la clarté mais pas de la verticalité, et où l’expertise ne garantit plus la légitimité. Le leadership utile aujourd’hui n’est pas celui qui “sait”, mais celui qui crée un environnement où l’incertitude devient gérable.

Cela suppose une compétence rarement enseignée : lire les dynamiques émotionnelles qui traversent un collectif. Comprendre ce qui réassure, ce qui désorganise, ce qui mobilise. Non pour manipuler, mais pour stabiliser. L’autorité ne vient plus du statut ; elle vient de la capacité à interpréter les signaux faibles, à ajuster le rythme, à poser des cadres protecteurs.

Dans le secteur public comme dans le privé, la difficulté actuelle est claire : on demande aux managers de piloter des environnements mouvants avec des outils conçus pour la stabilité. Résultat : surcharge mentale, décisions mécaniques, tensions inutiles.

Le leadership contemporain exige donc un déplacement : passer d’un rôle de contrôle à un rôle de régulation. Ce changement n’est pas cosmétique ; il conditionne l’efficacité collective. Gérer, aujourd’hui, c’est d’abord créer des conditions où les équipes peuvent penser.

L’imprévu n’est pas une perturbation : c’est un révélateur de l’état réel d’une organisation

Les organisations passent beaucoup de temps à lisser le réel : planification, circuits validés, routines, reporting. Tout cela donne une impression de maîtrise. Jusqu’au moment où un imprévu surgit. Là, les masques tombent immédiatement. On voit : la qualité du collectif, la solidité du cadre, la confiance entre les acteurs, la capacité à improviser intelligemment.

L’inattendu agit comme un test : il montre ce qui tient vraiment. Un collectif sûr de lui s’adapte, coopère, redistribue les rôles. Un collectif fragilisé se crispe, se divise ou se défausse. Ce n’est pas l’événement qui crée la fragilité ; il la révèle.

Les organisations qui comprennent cela cessent de diaboliser l’imprévu. Elles l’utilisent comme un espace d’apprentissage. Non pas en organisant des surprises artificielles, mais en observant finement ce qui se passe quand un protocole échoue, quand un agent manque, quand une demande urgente arrive.

Dans ces moments, les routines ne servent plus. Ce qui opère, ce sont les liens, les valeurs, la circulation de l’information, la capacité à faire confiance. L’imprévu devient un miroir stratégique : il montre la maturité réelle du collectif, celle qui ne se mesure ni en organigramme ni en tableaux de bord.

Fonction Publique Mon Amour est un média indépendant créé par Linda Comito.
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