Ils veulent du sens, de la reconnaissance, de l'autonomie… Et pourtant, les jeunes décrochent de la fonction publique. Entre aspirations nouvelles et organisations rigides, le fossé générationnel semble se creuser. Mais faut-il y voir un désintérêt ou un malentendu ?
Dans cet épisode, Johanne Fora-Porthault, présidente de l’association FP21 – Fonction publique du 21e siècle, partage les résultats d’un travail d’envergure sur les représentations croisées entre jeunes et administration.
L’occasion de faire le point sur les incompréhensions, mais aussi sur les leviers d’action.
« Il y a un véritable désir d’engagement chez les jeunes, mais ils ne s’y retrouvent pas dans les formes proposées par l’administration. »
Johanne Fora-Porthault est présidente de l’association FP21 – Fonction publique du 21e siècle depuis décembre 2024. Cette structure indépendante explore les conditions d’un renouvellement de la culture administrative.
Elle a notamment coordonné une étude qualitative sur le rapport des jeunes générations à l’engagement public, basée sur des entretiens croisés entre jeunes et acteurs du service public.
La génération Z arrive dans le monde professionnel après avoir grandi dans une période traversée par l’urgence climatique, les crises économiques répétées, la pression sociale continue et l’exposition aux réseaux numériques. Ce contexte façonne une manière d’aborder le travail où la cohérence n’est plus négociable. Ils ne demandent pas un environnement parfait : ils demandent un environnement qui tient debout.
Cette génération a intégré très tôt l’idée que les institutions peuvent dire beaucoup sans que cela se traduise concrètement. C’est pour cela qu’elle évalue un employeur non pas sur ses intentions, mais sur sa capacité à aligner discours et pratique. Elle recherche de la stabilité, mais pas de la rigidité ; de la clarté, mais pas du contrôle ; un collectif fiable, pas un cadre pesant.
Lorsque ces jeunes arrivent dans la fonction publique, ils cherchent un environnement prévisible, structuré et crédible. Ils ne rejettent ni le service public ni l’engagement : ils rejettent les zones d’ombre, les contradictions organisationnelles et les promesses creuses. Leur exigence n’est pas un caprice générationnel : c’est une réponse rationnelle à un monde instable où la confiance se gagne, jamais elle ne se décrète.
Les jeunes adultes portent une attente forte de justice sociale, organisationnelle et environnementale. Cela ne relève pas d’un militantisme professionnel, mais d’une manière de regarder le monde. Ils observent la cohérence d’un employeur dans ses décisions, sa manière de réguler les inégalités, son rapport à l’écologie, son traitement des situations difficiles.
Le management devient alors un rôle de régulation avant d’être un rôle d’autorité. Ce qui est attendu, ce n’est pas un chef charismatique, mais un cadre juste : quelqu’un qui explicite les règles, tranche clairement, assume les décisions et garantit l’équité. Les jeunes évaluent un employeur à travers ces repères : transparence, constance, respect.
Cette sensibilité transforme la relation au travail. L’engagement ne repose plus sur la loyauté automatique, mais sur la qualité de l’environnement. Si l’organisation protège ses agents, explique ses choix et prend soin des collectifs, elle gagne leur confiance. Si elle laisse des incohérences perdurer, elle les perd.
Dans un contexte où le service public revendique des valeurs fortes, cette génération rappelle que ces valeurs n’ont de poids que lorsqu’elles se traduisent dans les pratiques quotidiennes. L’exigence est élevée, mais elle pousse les organisations à retrouver une cohérence souvent attendue depuis longtemps.
Les tensions attribuées à la génération Z sont souvent mal interprétées. Ce n’est pas l’âge qui crée les décalages : c’est l’organisation du travail. Les jeunes adultes ont grandi dans un environnement où l’information circule vite, où les règles doivent être explicites et où l’on peut comparer les pratiques en permanence.
Face à des administrations qui fonctionnent encore largement sur des implicites et des codes non écrits, le choc culturel est immédiat. Ce que certains appellent “impatience” ressemble davantage à une demande de repères clairs. Ce que d’autres qualifient de “désengagement” traduit souvent l’absence de sens ou de lisibilité.
Lorsque les règles du jeu sont floues, que les arbitrages tardent, que les managers doivent absorber seuls les contradictions du système, les incompréhensions se multiplient — entre générations, mais aussi entre services. Dans un cadre lisible, régulé et cohérent, ces tensions disparaissent presque totalement.
La clé n’est donc pas de “comprendre les jeunes”, mais de rendre l’organisation plus explicite : clarifier les responsabilités, stabiliser les pratiques, structurer les parcours. Là où le cadre est solide, la cohabitation intergénérationnelle devient naturelle. Là où il est défaillant, chaque différence d’âge devient un prétexte commode pour expliquer ce qui relève d’abord de la structure.
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