Chaque année, les chiffres sur l’absentéisme dans le secteur public alimentent les débats : les agents seraient plus souvent malades que dans le privé. Mais cette comparaison est-elle juste ? Et surtout, à quoi renvoient ces arrêts ?
Derrière les polémiques, se cachent des réalités complexes, qu’il est temps de comprendre plutôt que de juger.
Dans cet épisode, Johan Theuret propose un éclairage nuancé et solide sur un sujet à fort enjeu politique et humain.
« Le débat sur les arrêts maladie est souvent biaisé : on le moralise, alors qu’il faut d’abord le comprendre. »
Johan Theuret est Directeur général adjoint en charge du Pôle ressources à Rennes Métropole et Ville de Rennes. Il est également co-fondateur du collectif Le Sens du service public, engagé pour une fonction publique plus humaine, réflexive et efficace.
Spécialiste reconnu des politiques RH publiques, il partage ici une lecture rigoureuse et engagée du phénomène des arrêts maladie.
Dès qu’on parle d’arrêts maladie dans la fonction publique, le débat s’enflamme et se rétrécit. Une idée domine : si le taux est supérieur au privé, c’est qu’il y a abus. Cette équation simpliste structure le regard porté sur les agents. Elle installe l’idée que le privé représente la norme, et que tout ce qui s’en éloigne serait suspect. Or cette comparaison est construite sur une hypothèse fausse : l’idée que les deux univers sont homogènes.
Les données évoquées dans l’épisode montrent bien que les agents publics ne sont pas “plus malades”, mais qu’ils vieillissent dans un système où la démographie joue un rôle central. Le service public compte davantage de quinquas ; or l’absentéisme augmente objectivement avec l’âge, dans le public comme dans le privé. Rien d’idéologique ici : juste de la physiologie. Les entorses à 50 ans durent plus longtemps qu’à 25.
Le problème n’est donc pas l’absentéisme, mais la manière dont il est raconté. En désignant le public comme “coût excessif”, on escamote les réalités professionnelles : métiers usants, exposition au public, tensions collectives, dégradation des conditions de travail. Ce biais narratif ne permet pas de penser les leviers d’action ; il enferme la fonction publique dans une caricature et détourne l’attention de ce qui mériterait vraiment d’être traité.
La pyramide des âges pèse de manière déterminante sur les arrêts maladie. Avec un âge moyen de 44 ans, contre 41 ans dans le privé, la fonction publique accueille une population plus âgée et donc statistiquement plus touchée par les arrêts. Ce simple écart de trois ans suffit à changer les courbes.
À cela s’ajoute une autre dynamique observée dans l’épisode : la part des agents de moins de 30 ans diminue, tandis que celle des plus de 50 ans augmente continuellement . Autrement dit, le système se “grise” progressivement. Quand un corps professionnel vieillit, les arrêts se multiplient : maladies longues, récupérations plus lentes, pathologies mécaniques plus fréquentes.
Il n’y a rien d’anormal ou de moralement discutable là-dedans. Ce sont des phénomènes prévisibles, documentés, structurels. Le vrai sujet devient alors : pourquoi la fonction publique rajeunit-elle si peu ? Pourquoi les métiers les plus physiques — souvent territoriaux — sont-ils portés par des équipes vieillissantes ?
Lire l’absentéisme sans intégrer cette dimension démographique, c’est comme analyser un budget sans regarder les dépenses obligatoires. On finit par accuser les comportements alors que ce sont les structures qui expliquent l’essentiel. La question n’est donc pas “comment responsabiliser les agents”, mais “comment rééquilibrer une organisation qui vieillit sans se renouveler”.
L’épisode apporte un éclairage frappant : lorsqu’on compare public et privé, on oublie la nature même des métiers. Beaucoup de postes publics sont directement exposés aux usagers : tensions, agressivité, surcharge émotionnelle, charge mentale. Ce type d’exposition quotidienne n’a pas d’équivalent dans tous les secteurs privés.
De plus, les réformes successives ont alourdi le travail administratif sans alléger les obligations. Dans ce contexte, la maladie n’est pas un simple aléa : c’est souvent le symptôme d’un système qui s’essouffle. Le discours stigmatisant sur “l’abus” évite soigneusement de poser la question qui fâche : si les arrêts augmentent, qu’est-ce que cela révèle du fonctionnement collectif ?
À cela s’ajoute une réalité soulignée dans l’épisode : lorsqu’un secteur privé investit dans la prévention, l’ergonomie, l’organisation du travail, le service public peine parfois à suivre, faute de moyens ou de capacités de réorganisation. Il n’est donc pas absurde que certains employeurs privés aient pu réduire leur absentéisme là où la fonction publique reste engluée dans des contraintes structurelles qui empêchent des ajustements rapides.
Le débat sur les arrêts maladie devient alors un miroir : il montre moins la “fragilité” des agents que les limites d’un système qui attend encore beaucoup du dévouement individuel pour compenser l’usure collective.
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