L’intelligence émotionnelle, ce concept longtemps perçu comme flou ou “trop doux” pour le monde du travail, est aujourd’hui reconnu comme un levier décisif de développement professionnel. Dans un environnement de plus en plus complexe, où les émotions influencent autant les relations que les décisions, apprendre à les comprendre (et à les utiliser) devient une compétence stratégique.
Dans cet épisode, Christophe Haag nous partage les découvertes scientifiques qui prouvent à quel point l’intelligence émotionnelle est un atout… même (et surtout) dans la fonction publique !
« L'intelligence émotionnelle est un vrai message d'espoir : on peut la développer à tout âge. »
Christophe Haag est professeur à EM Lyon business school, docteur en psychologie sociale, chercheur en comportement organisationnel et auteur de plusieurs ouvrages sur l’intelligence émotionnelle. Il est reconnu pour sa capacité à vulgariser les recherches académiques et à les connecter à des enjeux concrets du monde professionnel.
L’intelligence émotionnelle n’est pas une « compétence douce », ni un supplément d’âme pour managers en quête d’outils tendance. C’est un mécanisme cognitif qui influence directement la façon dont on perçoit une situation, dont on en évalue les enjeux et dont on choisit une réponse. Contrairement au QI, qui mesure des aptitudes stables, l’intelligence émotionnelle renvoie à des processus dynamiques : reconnaître ce qui se joue en soi, identifier l’impact d’une émotion sur un jugement, ajuster la réaction pour éviter les réponses impulsives ou défensives.
Dans un environnement de travail, cette capacité fait une différence décisive. Elle permet de sortir du pilotage automatique qui pousse chacun à réagir selon ses habitudes plutôt que selon les besoins réels de la situation. Elle évite l’escalade émotionnelle dans les collectifs sous tension. Et surtout, elle renforce la précision des décisions : comprendre son état interne, c’est éviter que la peur, la colère ou l’ego n’orientent une décision stratégique sans que l’on s’en rende compte.
Loin d’être un attribut réservé aux « hypersensibles », l’intelligence émotionnelle est en réalité un outil de lecture du réel. Elle permet de percevoir ce que d’autres ignorent et de réduire l’écart entre l’intention et l’effet produit. C’est pour cela qu’elle transforme la manière de travailler bien plus qu’on ne le croit.
Pendant longtemps, le travail a été organisé autour d’une croyance simple : les individus possèdent des traits relativement fixes, et les compétences se stabilisent une fois l’âge adulte atteint. Les neurosciences ont complètement inversé cette perspective. La plasticité cérébrale montre que le cerveau se reconfigure en permanence : il renforce certains circuits, en crée d’autres, et continue d’apprendre tant qu’il est stimulé de manière adéquate.
Cette réalité change la manière d’aborder la formation et la gestion des carrières. Une compétence émotionnelle — gérer le stress, décoder une situation relationnelle, désamorcer une tension — n’est pas un talent inné. C’est le résultat de pratiques répétées qui modifient progressivement la structure même du cerveau. On ne “naît” pas bon communicant ou mauvais communicant : on devient l’un ou l’autre en fonction de l’environnement, de l’accompagnement, des expériences.
Dans les organisations, cette idée ouvre un espace immense : au lieu de considérer que certains profils sont « faits pour ça » et d’autres non, elle invite à créer des environnements d’apprentissage où chacun peut renforcer ses capacités adaptatives. La plasticité cérébrale rend caduc le discours fataliste sur les comportements. Elle montre qu’un collectif progresse lorsque l’on cesse de croire que tout est joué d’avance.
Autrement dit : la compétence n’est pas un état. C’est un mouvement.
Les émotions ne sont pas des parasites qu’il faudrait apprendre à dompter. Elles sont des mécanismes biologiques complets, avec un impact concret sur la santé, la motivation et la qualité du lien social. Lorsque l’on comprend comment elles fonctionnent, les comportements professionnels deviennent soudain beaucoup plus lisibles.
Un stress prolongé augmente la production de cortisol, ce qui fragilise la concentration, le sommeil, la capacité de décision. Une mauvaise régulation émotionnelle accroît les risques de comportements compensatoires : addictions, isolement, irritabilité, retrait relationnel. À l’inverse, une bonne lecture émotionnelle renforce la stabilité interne, améliore la qualité des interactions et réduit les risques de burn-out.
Dans un collectif, cela signifie que la santé d’une organisation ne se mesure pas uniquement par ses résultats, mais par la manière dont elle traite l’émotion comme une donnée de fonctionnement. Les équipes qui savent aborder les désaccords sans escalade, qui reconnaissent les signaux de surcharge, qui valorisent l’écoute profonde, développent une résilience qu’aucun outil de gestion ne peut produire.
Comprendre les émotions ne relève donc pas du développement personnel, mais d’une vision mature du travail. C’est une manière d’améliorer la précision des décisions, la qualité des relations et la solidité du collectif. L’émotion n’est pas un bruit parasite : c’est le langage de ce qui se joue réellement.
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