Baby-boomers vs Génération Z : le clash managérial dans la fonction publique

Peut-on encore manager les jeunes talents comme avant ? Alors que les générations se croisent dans les couloirs de la fonction publique, un choc de cultures s’installe : attentes opposées, visions du travail divergentes, et incompréhensions mutuelles.

Dans cet épisode, Élodie Gentina décrypte les difficultés de management entre les baby-boomers et la génération Z dans le secteur public. Pourquoi ce clash est-il si fort ? Quelles transformations attendre pour mieux intégrer les jeunes dans les services publics ? Un échange percutant et éclairant.

Présentation de l'invitée : Élodie Gentina

« Les jeunes nous disent que la fonction publique adopte la culture du statu quo. »

Élodie Gentina est enseignante-chercheuse à l’IÉSEG School of Management, spécialiste de la génération Z. Elle travaille depuis plus de dix ans sur les comportements, les attentes et les rapports au travail de cette génération.

Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages et intervient régulièrement auprès des organisations publiques et privées pour les aider à mieux comprendre les jeunes talents.

Décryptage des idées clés

Une culture administrative trop rigide pour des trajectoires professionnelles devenues mobiles

Le marché du travail évolue plus vite que les organisations publiques ne s’y adaptent. Les jeunes entrants adoptent une relation plus flexible à l’employeur : ils testent, comparent, évaluent la qualité de l’environnement avant de s’engager. Cette mobilité n’est pas un signe d’instabilité, mais une manière de sécuriser leur parcours dans un monde professionnel incertain. À l’inverse, la fonction publique continue de s’appuyer sur une culture du temps long, où le cadre hiérarchique, les processus figés et les chaînes de validation lourdes structurent l’expérience de travail.

Ce décalage produit une incompréhension mutuelle. Les jeunes ne sont pas hostiles au service public ; ils se heurtent à une organisation qui ne valorise pas l’initiative et peine à offrir des marges de manœuvre. La rigidité administrative devient alors un signal négatif : elle renvoie l’image d’un employeur peu capable d’ajustement et peu ouvert à l’expérimentation. Pour rester attractive, la fonction publique doit reconnaître que ses repères historiques ne correspondent plus aux usages professionnels actuels. L’enjeu n’est pas de “moderniser pour séduire”, mais d’intégrer que l’agilité n’est plus un bonus : c’est une condition d’engagement durable.

Des procédures de recrutement dissuasives dans un contexte où la réactivité devient la norme

L’expérience de recrutement constitue aujourd’hui un élément central de l’attractivité d’un employeur. Dans un environnement où les candidats reçoivent des réponses rapides et où les processus privés s’accélèrent, les procédures administratives apparaissent particulièrement lourdes. Délais longs, absence de retour intermédiaire, demandes répétées de documents ou entretiens multiples : ces pratiques transmettent un message implicite sur le fonctionnement interne de l’organisation.

Pour de nombreux candidats, le renoncement ne vient pas d’un manque d’intérêt pour les missions, mais d’une lassitude face à un parcours d’accès trop complexe. La lenteur n’est plus perçue comme une garantie de sérieux, mais comme un risque de stagnation future. Si l’entrée dans l’organisation demande déjà une forte endurance, l’image projetée est celle d’un employeur qui peine à décider et à prioriser.

Rendre les recrutements plus fluides n’est pas un geste cosmétique. C’est un enjeu stratégique. Une procédure claire, lisible et rapide reflète une administration qui maîtrise ses processus et qui prend ses engagements au sérieux. Dans un marché où les candidats ont le choix, la réactivité devient un levier de confiance autant qu’un outil d’attractivité.

Les tensions intergénérationnelles masquent une réalité organisationnelle plus profonde

Les discours sur la difficulté à “manager les jeunes” occultent souvent l’essentiel : ce n’est pas l’écart d’âge qui crée les tensions, mais la manière dont les organisations fonctionnent. Lorsque les priorités sont floues, que les régulations collectives manquent, que les managers absorbent seuls les contradictions du système, les incompréhensions se multiplient. Dans ces environnements instables, les différences de rapport au travail deviennent des points d’accrochage commodes : les jeunes seraient trop exigeants, les plus expérimentés trop rigides.

En réalité, les attentes ne sont pas incompatibles. Les jeunes cherchent du sens, de la clarté et des espaces de contribution. Les plus expérimentés cherchent de la reconnaissance, de la stabilité et un cadre soutenable. Ce qui crée la tension, ce n’est pas la génération, mais l’absence d’un cadre collectif qui permettrait de concilier ces attentes.

Lorsque les organisations régulent le travail, clarifient les responsabilités et renforcent la coopération, les tensions s’apaisent. Les générations cohabitent sans difficulté particulière. Le véritable enjeu n’est donc pas de “comprendre les jeunes”, mais de renforcer les collectifs de travail. C’est là que se joue la qualité de l’engagement, pour tous les âges.

Fonction Publique Mon Amour est un média indépendant créé par Linda Comito.
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