Longtemps considérée comme un pilier de la méritocratie républicaine, la fonction publique est-elle toujours cet espace où chacun peut entrer, progresser et construire une trajectoire professionnelle stable, quel que soit son milieu d’origine ?
Dans cet épisode, Clément Peruyero, nous présente les résultats d’une étude menée avec Camille Peugny pour France Stratégie. Ce travail, fondé sur les données de l’enquête Formation et qualification professionnelle (FQP), propose une lecture nuancée de la mobilité sociale dans les trois versants de la fonction publique. Un sujet aussi sensible que stratégique, alors que les inégalités d’accès et de carrière persistent.
« Le fait d’avoir un père ou une mère qui était salarié de la fonction publique augmente la probabilité qu’une personne travaille également dans la fonction publique à l’âge adulte. »
Clément Perruyero est doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches portent sur la transmission intergénérationnelle des inégalités, notamment dans le secteur public.
L’enquête mobilisée dans cet épisode montre une tension fondamentale : la fonction publique est présentée comme un espace d’égalité, mais elle reste socialement filtrée. Les données rappellent que l’origine professionnelle des parents influence fortement la probabilité d’entrer dans la fonction publique. Cette réalité, souvent invisible, agit comme un filtre implicite.
L’explication ne se situe pas dans une volonté d’exclusion, mais dans un ensemble de mécanismes très concrets : socialisation professionnelle, connaissance des codes, maîtrise anticipée des parcours, exposition précoce aux concours, ou encore valorisation familiale de la stabilité statutaire.
Ces facteurs structurent des trajectoires différenciées sans jamais apparaître comme des critères explicites.
Cette lecture nuance fortement l’image idéalisée d’un système ouvert à tous. L’enjeu n’est pas de nier les réussites individuelles, mais de comprendre pourquoi certaines catégories entrent plus facilement que d’autres. L’accès repose autant sur des compétences que sur une familiarité avec le fonctionnement administratif : savoir où chercher, comment se positionner, comment se projeter dans un poste, comment aborder un concours.
Cette asymétrie crée un paysage où l’accès n’est pas strictement méritocratique, mais dépend d’un capital culturel et institutionnel que tout le monde ne possède pas. Comprendre cette structure est indispensable pour repenser les conditions d’entrée et élargir réellement le vivier.
Une fois entré dans la fonction publique, le récit officiel veut que chacun puisse progresser au mérite. La réalité décrite par les données est plus nuancée. La mobilité interne existe, mais elle n’est ni homogène, ni équitable selon les milieux sociaux. Certains agents, par leur capital scolaire, leur environnement familial ou leur maîtrise des codes administratifs, accèdent plus facilement aux filières ascendantes, aux concours internes, ou aux dispositifs d’évolution.
D’autres avancent, mais de manière linéaire, parfois lente, souvent cantonnée à des zones professionnelles moins valorisées.
Cette différence ne traduit pas un manque d’effort individuel. Elle traduit un écart d’accès à l’information, aux réseaux, à la compréhension des mécanismes, et parfois à la confiance en soi nécessaire pour se projeter vers des postes à responsabilité.
La fonction publique apparaît alors comme un système où la progression est possible, mais où la capacité à en saisir les opportunités dépend d’un bagage social préexistant.
L’analyse permet d’interroger la cohérence entre un discours méritocratique et une réalité plus hiérarchisée, où les mêmes ressources initiales qui facilitent l’entrée facilitent également l’ascension.
Évoluer tout au long de la carrière : un modèle qui reste attractif, mais qui ne garantit pas l’égalité des parcours
L’étude rappelle que la fonction publique reste un espace de stabilité, de droits structurés et de possibilités de carrière réelles. Ce modèle conserve une force d’attraction, notamment dans un marché du travail incertain. Mais cette attractivité ne protège pas des inégalités de carrière.
La stabilité du statut n’empêche ni les plafonds de verre, ni les trajectoires parallèles, ni les mobilités limitées pour certains groupes. Le système fonctionne encore en strates : certains agents circulent dans les catégories, accèdent à la formation, tentent les concours, rebondissent ; d’autres évoluent dans un périmètre restreint, souvent déterminé par leur niveau d’étude initial ou par leur environnement social d’origine.
L’enjeu n’est donc pas de savoir si la fonction publique tient ses promesses, mais pour qui.
Elle continue d’offrir un cadre protecteur et des perspectives, mais ces perspectives ne se distribuent pas de manière uniforme. Évoluer dépend d’une capacité à naviguer dans un système complexe : identifier les leviers, comprendre les passerelles, anticiper les concours, lire les organisations, interpréter les attentes d’un corps ou d’un versant.
L’analyse ouvre ainsi une réflexion sur les politiques publiques : si l’objectif est de renforcer la mobilité, il faut travailler sur la transparence, l’accompagnement, et l’égalité d’accès aux dispositifs structurants.
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