Protection fonctionnelle : Et si on arrêtait de faire semblant ?

Insultes, menaces, agressions, diffamation… La vie d’agent public est parfois bien plus exposée qu’on ne le pense.

Face à ces risques, un outil existe : la protection fonctionnelle. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Comment y accéder ? Et protège-t-elle vraiment les agents ?

Dans cet épisode, Elma Cugny-Larrey décortique cette procédure encore méconnue, en éclairant ses conditions d’accès, ses effets… et ses limites. Un indispensable pour tous les agents, RH et encadrants.

Présentation de l'invitée : Elma Cugny-Larrey

« La protection fonctionnelle, c’est une obligation de l’employeur quand un agent est mis en cause ou victime dans le cadre de ses fonctions. »

Elma Cugny-Larrey est avocate en droit public et spécialiste du droit de la fonction publique. Forte de près de dix ans d’expérience, elle accompagne aussi bien les institutions que les agents dans la gestion de leurs problématiques juridiques, contentieuses ou disciplinaires. Elle est également sollicitée pour réaliser des enquêtes administratives en toute indépendance.

Décryptage des idées clés

La protection fonctionnelle rappelle que l’institution ne peut pas demander à ses agents d’absorber l’inacceptable

Dans beaucoup de collectivités, on sous-estime encore ce que vivent certains agents : incivilités banalisées, agressions verbales répétées, tensions internes laissées sans régulation… L’échange le montre très bien : la protection fonctionnelle n’est pas un dispositif à activer “en dernier recours”, c’est un garde-fou indispensable dans des métiers exposés.

Ce mécanisme rappelle une évidence que l’organisation oublie parfois : un agent n’a pas à encaisser seul ce que le service public génère comme violence, externe ou interne. La protection fonctionnelle formalise cette responsabilité. Elle oblige l’employeur à prendre position, à accompagner, à assumer.

Mais ce qui ressort le plus clairement, c’est que la protection fonctionnelle n’est efficace que si l’organisation reconnaît la réalité des situations vécues. Trop souvent, les agents arrivent avec des faits non consignés, des attaques répétées mais jamais tracées, ou des tensions dont “tout le monde savait”, mais que personne n’avait formalisées. Résultat : l’institution peine à agir.

Ce dispositif devient alors un révélateur : non seulement des violences subies, mais aussi des zones où les organisations laissent les agents trop seuls. La protection fonctionnelle n’est pas qu’un droit ; c’est un test de maturité collective.

Le droit offre un cadre clair… mais la pratique dépend entièrement du sérieux de l’employeur

Le cadre juridique de la protection fonctionnelle est carré, précis, posé. Sur le papier, rien ne manque : typologie des atteintes, obligations de l’employeur, exclusions fondées sur la faute personnelle. Tout est solide.

La difficulté n’est pas le droit. La difficulté, c’est de le faire vivre.

Ce que montre la discussion, c’est que l’employeur peut très bien être dans son rôle… ou complètement à côté. Une demande mal instruite, un dossier monté trop vite, une analyse superficielle des faits : et c’est toute la crédibilité de la collectivité qui s’effondre.

L’institution doit savoir enquêter, qualifier les faits, distinguer le conflit de travail d’une atteinte à la dignité, comprendre ce qui relève du disciplinaire et ce qui relève du pénal. Rien de cela ne s’improvise.

Le droit protège, mais uniquement si l’organisation est capable d’assumer sa part : objectiver, documenter, argumenter.

Et c’est là que le contraste apparaît nettement : entre les collectivités qui maîtrisent, structurent, sécurisent… et celles qui découvrent trop tard que la protection fonctionnelle n’est pas un formulaire mais un acte de gestion exigeant.

Le levier juridique existe ; la question est de savoir si l’employeur est à la hauteur.

Les situations arrivent trop tard en protection fonctionnelle : le vrai problème est en amont

Ce que révèle l’épisode est frappant : la majorité des dossiers arrivent lorsque la situation est déjà hors de contrôle. Des mois – parfois des années – d’incidents non documentés, de petites violences répétées, d’alertes restées informelles. Le résultat est mécanique : quand l’agent demande enfin la protection, il n’y a plus grand-chose de solide pour appuyer le dossier.

Le problème n’est donc pas la protection fonctionnelle. Le problème, c’est l’absence de traçabilité.

La culture professionnelle française, dans beaucoup de services, valorise encore la résistance silencieuse : “ça fait partie du boulot”, “on ne va pas en faire une affaire”, “ça passera”. Jusqu’à ce que ça ne passe plus.

L’organisation gagne à instaurer d’autres réflexes : signaler dès les premiers faits, documenter, alerter, soutenir les managers pour ne pas laisser pourrir des situations qui auraient pu être réglées tôt.

Là où la traçabilité existe, la protection fonctionnelle est fluide. Là où règne l’implicite, elle devient un casse-tête.

Cette logique dit quelque chose d’essentiel : protéger les agents, ce n’est pas seulement réagir ; c’est créer un système où l’on n’attend pas l’explosion pour reconnaître qu’il se passe quelque chose.

Fonction Publique Mon Amour est un média indépendant créé par Linda Comito.
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