Libérer l’administration : et si on faisait (vraiment) confiance aux agents ?

La bureaucratie a-t-elle tué l’envie d’agir ? Dans cet épisode coup de poing, Isaac Getz — chercheur et cofondateur du Cercle des pionniers de la libération de l'administration — nous invite à une transformation profonde de la fonction publique.

Pas une énième réforme sur le papier, mais un changement de culture. Moins de contrôle, plus de confiance. Moins d’injonctions, plus de responsabilité.

Présentation de l'invité : Isaac Getz

« Il faut sortir du mythe que le contrôle crée de la confiance. C’est l’inverse : plus on contrôle, moins on fait confiance. »

Isaac Getz est professeur, conférencier, et auteur de plusieurs best-sellers sur le leadership et la transformation des organisations, dont "L’entreprise libérée".

Il est également cofondateur du "Cercle des pionniers de la libération de l’administration", un collectif de hauts fonctionnaires et d’acteurs publics engagés pour une transformation par la confiance et le sens.

Décryptage des idées clés

Transformer une organisation publique commence par reconnaître ce sur quoi elle n’a pas la main

Quand on parle de “libérer” une organisation, l’imaginaire part souvent vers des modèles très horizontaux, des équipes autonomes, des circuits courts. Mais dans le secteur public, tout ne peut pas bouger de la même manière : une administration doit répondre à la loi, respecter des responsabilités politiques, suivre des règles de contrôle, et garantir l’égalité entre les usagers.

Si on ne part pas de cette réalité, n’importe quel discours sur l’autonomie tourne au mirage. Ce n’est pas parce qu’une administration manquerait d’audace, c’est parce qu’elle doit composer avec des contraintes qui ne disparaîtront pas. La question n’est donc pas : “comment copier un modèle idéal”, mais : “quel espace de liberté existe réellement ici, et comment l’utiliser intelligemment ?”.

La transformation ne peut pas consister à plaquer un modèle venu d’ailleurs. Elle doit partir de l’analyse du terrain, des marges d’action possibles, et de ce qui peut évoluer sans fragiliser la mission publique.

Ce réalisme n’est pas une limite : c’est ce qui permet à une organisation publique de changer sans se raconter d’histoires — et donc de changer vraiment.

L’autonomie ne fonctionne que si la structure clarifie ce qui est attendu de chacun

Accorder davantage de liberté aux équipes ne consiste pas à “faire confiance” de manière abstraite. Dans les organisations complexes, l’autonomie n’existe que si les règles du jeu sont clairement établies : qui décide quoi, sur quels enjeux, dans quelles limites, avec quels critères de réussite.

Beaucoup de démarches de transformation échouent parce qu’elles confondent autonomie et absence de cadre. Dans un service public, cette confusion est encore plus coûteuse : les décisions engagent des fonds publics, affectent des usagers et s’inscrivent dans une chaîne de responsabilité qui ne peut pas disparaître.

L’autonomie devient efficace lorsqu’elle repose sur trois éléments : une vision partagée, un cadre lisible, et des marges d’action identifiées. Sans cela, les agents se retrouvent face à des injonctions contradictoires : être créatifs, mais ne pas prendre de risques ; être responsables, mais valider chaque détail ; être autonomes, mais respecter des processus lourds.

Clarifier la répartition des responsabilités n’est pas un exercice bureaucratique. C’est une condition de santé organisationnelle. Quand chacun sait sur quoi il peut agir et comment cette action s’inscrit dans un ensemble plus large, l’autonomie cesse d’être un slogan pour devenir une pratique.

Les transformations durables émergent lorsque les équipes co-construisent leur propre manière de fonctionner

Aucune organisation ne se transforme durablement par imitation d’un modèle extérieur. Les démarches les plus solides sont celles qui partent de l’existant, interrogent les pratiques, identifient les irritants, et construisent progressivement de nouvelles façons de travailler.

Dans le secteur public, cette co-construction prend une importance particulière. Les agents possèdent une connaissance fine des contraintes opérationnelles, des publics, des normes, des circuits de validation. Ils savent ce qui bloque, ce qui fonctionne et ce qui serait possible en modifiant l’agencement des rôles ou la circulation de l’information.

C’est en partant de ce savoir que les équipes peuvent inventer des réponses adaptées : de nouvelles routines, des formes de coopération, des espaces d’initiative, des modes de régulation plus simples. La transformation n’est alors pas un projet imposé, mais une dynamique d’apprentissage collectif.

Cette approche permet aussi d’éviter l’écueil des réformes qui se heurtent à la réalité du terrain. Quand une organisation co-construit sa propre évolution, elle ne cherche pas à ressembler à un modèle idéal. Elle cherche à mieux fonctionner pour ce qu’elle est, avec ses missions, ses contraintes et son histoire. Et c’est précisément cela qui rend le changement durable.

Fonction Publique Mon Amour est un média indépendant créé par Linda Comito.
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