Et si le management public avait perdu le goût des autres ?

Manager, ce n’est pas seulement diriger : c’est s’intéresser aux autres, leur donner envie d’agir, les faire grandir. Mais dans la fonction publique, la culture de l’expertise l’a souvent emporté sur celle du lien.

Dans cet épisode, Isabelle Barth invite à repenser la posture managériale à travers une question simple et dérangeante : a-t-on perdu le goût des autres ?

Présentation de l'invité : Isabelle Barth

« Le management public a longtemps valorisé celui qui sait, pas celui qui relie. »

Isabelle Barth est professeure des universités en sciences de gestion, chercheuse et autrice de "La Kakistocratie ou le pouvoir des pires".

Ancienne directrice de l’École de management de Strasbourg, elle interroge depuis des années les dérives du leadership et les impensés du management, dans le public comme dans le privé.

Décryptage des idées clés

Le management public s’est construit sur la figure de l’expert

La culture administrative française repose sur la maîtrise du savoir. Dans la fonction publique, être légitime, c’est avant tout “savoir mieux que”. Ce modèle a assuré la compétence et la rigueur du service public, mais il a aussi enfermé le management dans une logique d’expertise solitaire.

On promeut les meilleurs techniciens, pas forcément les meilleurs managers. Le problème n’est pas la compétence en soi, mais la réduction du rôle managérial à une question de maîtrise individuelle. Or, manager ne consiste pas à avoir raison, mais à créer les conditions de l’intelligence collective.

Dans un monde où la complexité augmente, où les métiers se transforment, où les citoyens attendent de la réactivité, le manager public doit sortir de la posture de “celui qui sait”. Sa valeur ne réside plus dans sa connaissance, mais dans sa capacité à relier, à faire circuler, à encourager le mouvement plutôt qu’à le figer.

Aimer manager : le courage discret de la relation

On a longtemps considéré le management comme une étape de carrière, pas comme un métier. On a nommé des responsables, sans se demander s’ils en avaient envie. Pourtant, aimer manager, c’est la première des compétences. Cela veut dire aimer écouter, arbitrer, soutenir, parfois confronter — sans jamais cesser de voir la personne derrière la fonction.

Le management public a besoin de ce retour à l’humain, loin de la technicité froide ou des modèles importés du privé. Aimer manager, c’est aussi accepter la fragilité : celle d’être observé, contesté, imparfait. C’est un engagement de présence plus que de pouvoir.

Dans des environnements souvent marqués par la pression et la défiance, retrouver le goût de la relation est un acte politique. C’est ce qui permet de recréer la confiance, et donc de rendre à la fonction publique son souffle collectif.

La performance, quand elle ne blesse plus

Parler de performance publique reste difficile. Le mot fait peur : on y voit une dérive gestionnaire, une menace sur le sens. Pourtant, la performance n’est pas l’ennemie du service public, elle en est la promesse. À condition de la définir autrement : non comme la course à la productivité, mais comme la recherche du juste impact. Un service public performant, c’est un service où les équipes vont bien, où les décisions sont comprises, où le résultat est mesuré à l’aune de l’utilité.

La vraie modernité managériale n’est pas dans les tableaux de bord, mais dans la capacité à articuler exigence et bienveillance. Réconcilier performance et humanité, c’est redonner au management public sa fonction la plus noble : faire du collectif un espace de progrès, pas de contrainte.

Fonction Publique Mon Amour est un média indépendant créé par Linda Comito.
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