Dans cet épisode, Sophie Michalet propose un regard venu du médico-social pour éclairer autrement les pratiques managériales dans la fonction publique. Elle explore la manière dont la bientraitance, souvent associée à l’accompagnement des publics vulnérables, peut devenir un véritable cadre d’action pour les équipes, les managers et les organisations. À travers ses observations de terrain et une réflexion structurée, elle invite à repenser notre manière de travailler ensemble et à remettre l’humain au cœur du service public.
« On croit que seules les personnes vulnérables ont besoin d’être bien traitées, mais en réalité, nous en avons tous besoin. »
Sophie Michalet est coach professionnelle, formatrice en management et psychopraticienne en Analyse Transactionnelle. Fondatrice du cabinet HOAME, elle accompagne depuis plus de quinze ans des organisations publiques et privées sur les enjeux d’autonomie, de coopération et de qualité relationnelle. Son parcours l’a conduite à articuler pratiques managériales et approche humaniste, notamment à travers le concept de bientraitance.
La bientraitance vient d’abord du secteur du handicap, où elle est définie comme un principe fondamental pour toutes les personnes en contact avec des publics vulnérables – grand âge, petite enfance, handicap – et portée par la Haute Autorité de Santé. Elle ne se réduit pas à une intention bienveillante, mais décrit une manière d’être et d’agir, c’est-à-dire une pratique professionnelle observable, ajustable, discutable.
Transposée à la fonction publique, cette approche change le point de vue sur le management. Elle conduit à regarder chaque interaction – une consigne donnée, un mail envoyé, un entretien de recadrage, une réunion d’équipe – comme un acte qui a un impact sur la sécurité, la dignité et la capacité d’agir des personnes. La question n’est plus seulement « est-ce que je suis bienveillant ? », mais « est-ce que ma manière de faire permet réellement à l’autre de se sentir respecté, reconnu et en position d’agir ? ». La bientraitance devient alors un cadre d’analyse des pratiques : elle oblige à interroger l’organisation du travail, les processus, les décisions et pas seulement les intentions individuelles. Pour le management public, c’est une invitation à traiter la qualité relationnelle comme un sujet de professionnalité, pas comme un supplément d’âme.
En observant le travail auprès de personnes en situation de handicap, une analogie forte apparaît avec le rôle managérial : plans d’action personnalisés, objectifs d’autonomie, attention à ne pas faire « à la place de », souci de perdre le moins possible d’autonomie au fil du temps. Cette logique décrit très précisément ce que devrait être le cœur du métier de manager dans la fonction publique : accompagner ses collaborateurs vers plus d’autonomie, tout en maintenant un cadre d’exigence clair.
Ce déplacement est décisif. Il fait passer d’un management centré sur le contrôle et la conformité à un management centré sur la progression et la capacité à agir. L’exigence n’est pas abandonnée : elle reste présente, mais elle est articulée à un projet de développement de l’autre. Concrètement, cela suppose d’ajuster le niveau d’accompagnement, de clarifier les attentes, d’outiller la montée en compétence, puis de desserrer progressivement la supervision. Dans des organisations publiques très normées, cette vision permet de concilier cadre réglementaire et responsabilisation. La bientraitance devient ainsi un repère pour arbitrer entre « faire à la place », « laisser faire » et « faire grandir », en gardant comme boussole l’autonomie réelle des agents.
Le point de départ de la réflexion se situe auprès de publics qualifiés de vulnérables : personnes âgées, jeunes enfants, personnes en situation de handicap. Mais une bascule importante consiste à reconnaître que le besoin d’être bien traité ne concerne pas seulement ces publics, il est universel. Dans la fonction publique, les agents eux-mêmes peuvent traverser des moments de fragilité : surcharge, tensions avec les usagers, injonctions contradictoires, réorganisations successives. La bientraitance fournit alors un langage et un cadre pour penser la santé mentale au travail, non pas comme une affaire individuelle, mais comme un enjeu collectif et managérial.
Cette grille de lecture oblige à regarder comment les décisions, les modes de pilotage et les pratiques quotidiennes nourrissent ou abîment les ressources psychiques des équipes. Elle invite à se demander comment rendre le rôle de manager « plus puissant » en s’appuyant sur la bientraitance : capacité à repérer les signaux de fatigue, à sécuriser la parole, à reconnaître les efforts, à ne pas exposer inutilement les agents. Là encore, il ne s’agit pas de douceur abstraite, mais d’une exigence professionnelle : créer les conditions pour que chacun, manager comme agent ou usager, puisse traverser ses propres vulnérabilités sans être maltraité par le système de travail.
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